La vie des sols

QU’EST-CE QU’UN SOL ? 

Le sol provient de la décomposition et de l’altération des roches par l’action de l’eau, de l’air et des êtres vivants. Au cours du temps, le sol s’épaissit et se modifie ; il acquiert des constituants (matières organiques, argiles...) et des structures (couleurs, agrégats, horizons...) qui lui sont spécifiques.
Le sol est divers : ses caractéristiques et ses propriétés changent en fonction des roches, des reliefs, des climats, des végétations, de leurs âges. Le sol est très mince par rapport au diamètre du globe terrestre : de quelques centimètres à quelques mètres. Le sol est l’épiderme vivant et vital des continents de la Terre.
Le sol se forme lentement, mais ses propriétés évoluent rapidement. La fabrication du matériau qui deviendra le sol par altération des roches est un phénomène lent : l’échelle est celle du siècle et du millénaire. Cependant, les principales propriétés des sols peuvent évoluer très vite : c’est le cas de la structure, de la porosité, de l’activité biologique, des teneurs en certains éléments nutritifs.

LES FONCTIONS DU SOL 

Le sol nourrit le monde. Il produit, contient, accumule, tous les éléments nécessaires à la vie (azote, phosphore, calcium, potassium, fer, oligoéléments…), y compris l’air et l’eau. Le sol joue un rôle de garde-manger, plus ou moins grand et plus ou moins rempli. Les sociétés humaines, qui se nourrissent des plantes et des animaux, sont totalement dépendantes des sols.
Le sol est un composant fondamental du cycle des eaux continentales. Après une pluie, les sols poreux évitent le ruissellement ; ils contribuent donc à l’alimentation des nappes phréatiques. La porosité des sols détermine la proportion de l’eau qui ruisselle et de l’eau qui s’infiltre dans les sols. Le sol régule donc le régime des cours d’eau et le remplissage des nappes souterraines.
Le sol filtre et épure les eaux qui le traversent. Il en influence la composition chimique et biologique. Cette capacité a cependant des limites : les sols gravement pollués (par des activités industrielles ou agricoles) transmettent une partie de leur pollution aux eaux qui les traversent.
Le sol influence la composition de l’atmosphère. En particulier, il stocke et relâche des gaz à effet de serre. Le sol est un puits pour le carbone : certains modes de gestion des sols accumulent le carbone dans les sols. Or, accumuler du carbone dans les sols (principalement dans la matière organique) est généralement bénéfique pour la fertilité agricole des sols et pour diminuer la richesse en CO2 de l’atmosphère : le sol est l’un des acteurs majeurs des évolutions climatiques.
Le sol est lieu de vie. C’est un passage obligé pour de nombreuses espèces animales et végétales; de nombreux cycles biologiques passent par le sol, qui est donc partie prenante de nombreux écosystèmes. Beaucoup d’antibiotiques sont produits par des champignons du sol.
Le sol est une vaste réserve génétique. Il abrite et influence une grande partie de la biodiversité terrestre. Mais, à l’inverse, les activités biologiques sont essentielles à la construction des sols, à leur fonctionnement et à leur fertilité. La vie fait le sol… et le sol fait la vie.

Petite explication en images par Claude Bourguignon :

Claude Bourguignon est un ingénieur agronome français, ancien collaborateur de l'INRA. Il est également Fondateur du LAMS (Laboratoire d'Analyse Microbiologique des Sols). Il travaille en France, mais aussi en Europe, en Amérique et en Afrique.

 Il est parmi les premiers, dans les années 1970, à avoir alerté sur la dégradation rapide de la biomasse et de la richesse des sols en micro-organismes (bactéries et champignons microscopiques), ainsi que sur la perte d'humus et de capacité de productivité des sols agricoles européens, ou des sols auxquels on appliquait les mêmes méthodes en climat tropical ou subtropical. Il a contribué à développer des techniques alternatives qui se sont avérées très efficaces, mais qui demandent une bonne technicité et connaissance du fonctionnement écologique des sols.



UNE EXTRAORDINAIRE DIVERSITÉ TAXONOMIQUE


Les invertébrés du sol présentent une extraordinaire diversité taxonomique (on estime qu’ils représentent 23 % des espèces vivantes actuellement décrites). Ils comprennent des organismes de petite taille (moins de 0,2 mm, la microfaune) comme les nématodes, qui vivent dans les films d’eau autour des particules de sol, des organismes de taille intermédiaire (entre 0,2 et 2 mm, la mésofaune) comme les acariens et les collemboles, et enfin, des organismes de grande taille (plus de 2 mm, la macrofaune) comme les vers de terre et l’essentiel des larves d’insectes.
Les invertébrés de la macrofaune jouent un rôle clé dans le fonctionnement des sols. Ils décomposent la litière et l’incorporent au sol, ils construisent et maintiennent la structure du sol en creusant des galeries et en modifiant l’agrégation du sol, ils contrôlent en partie la diversité et les activités microbiennes, ils protègent les plantes contre les maladies et les pathogènes. Ces ingénieurs du sol fonctionnent dans le cadre d’interactions multiples complexes avec les autres composantes biologiques du sol. Par exemple, les vers de terre ou les termites, en modifiant l’agrégation du sol, définissent les habitats microbiens (zones du sol où les activités microbiennes sont soit stimulées, soit atténuées). Ainsi, les turricules (déjections) récents de vers de terre sont le siège d’une importante minéralisation de la matière organique (libération d’azote minéral utilisable par les plantes) alors que les turricules anciens se caractérisent par une minéralisation limitée permettant ainsi le stockage du carbone dans les sols. L’action importante, cumulée et répétée de ces ingénieurs du sol participe ainsi à la mise en place des services écosystémiques du sol. En modifiant l’agrégation et la porosité du sol, en décomposant la matière organique, ces organismes participent à l’infiltration et au stockage de l’eau dans les sols, au recyclage des nutriments, à la régulation du ruissellement de l’eau, au stockage du carbone. Ces processus écosystémiques sont à la base des services écosystémiques.
Pourtant le rôle bénéfique de ces organismes dans le fonctionnement des sols et la fourniture de services écosystémiques est encore mal connu et peu utilisé par les gestionnaires du sol (agriculteurs…). Ils sont pourtant des indicateurs de la qualité des sols et doivent être considérés comme une ressource permettant de mieux gérer et améliorer la fourniture de services fournis par les agro-écosystèmes.

LE RÔLE DES VERS DE TERRE


Les vers de terre, depuis longtemps, sont connus pour leur rôle joué sur la structure du sol et la dynamique de la matière organique. Le célèbre Charles Darwin, père de l’évolution, a publié son dernier ouvrage en 1881. Il s’agit d’un ouvrage sur les vers de terre, où l’auteur montre que ces animaux sont responsables de la formation des sols (en mélangeant matière organique et matière minérale), de la libération d’azote pour les plantes, de l’enfouissement et de la protection des vestiges archéologiques. Ce travail approfondi sur ces animaux a réellement été à la base des travaux futurs sur l’écologie des sols et sur le rôle des organismes dans le fonctionnement des sols. Depuis Darwin, les vers de terre ont été l’objet d’un nombre très important d’études (sûrement l’un des animaux les plus étudiés) que ce soit dans les milieux tempérés ou tropicaux.
Dans les zones tempérées, les peuplements sont dominés par les vers de terre anéciques qui construisent des galeries verticales à sub-verticales. Ces galeries ont un rôle particulièrement important dans les flux de gaz et d’eau entre le sol et l’atmosphère.
Dans les zones tropicales, ce sont les vers de terre endogés qui dominent les peuplements. Ces organismes sont capables d’ingérer de grandes quantités de terre. Ainsi, un individu peut consommer jusqu’à 35 fois son propre poids de terre (Lavelle, 1978). Les quantités ingérées annuellement par un peuplement sont alors impressionnantes : jusqu’à 2600 tonnes de terre par hectare et par an pour la valeur la plus élevée, ce qui est l’équivalent d’une couche de terre de 20 cm qui passerait chaque année dans le tube digestif des animaux (Blanchart et al., 1999). Ces vers de terre sont donc en grande partie responsables de la formation et du maintien de la structure observée dans les sols de différents écosystèmes (Blanchart, 1992).

DIVERSITÉ DES MICRO-ORGANISMES DU SOL


Trop souvent considéré comme un environnement minéral, le sol est aussi un lieu de vie. Il héberge une très forte diversité d’espèces (23 %), des vers de terre aux amibes qui participe à son fonctionnement et à la fourniture de services écosystémiques nécessaires à notre survie (production végétale, épuration des polluants etc.). Parmi ces espèces, les microorganismes sont, sans conteste, les plus nombreux et les plus divers. Composés de bactéries, archéobactéries et de champignons, ils assurent des fonctions essentielles comme la biodégradation de la matière organique, la production de nutriments pour les plantes, la fixation d’azote, la dégradation des polluants, etc. Les cycles biogéochimiques comme le cycle du carbone de l’azote ou du phosphore sont sous la dépendance (à plus de 90 %) des microorganismes. Ils sont ainsi responsables de l’émission des gaz à effet de serre comme le CO2, le N2O et le CH4.
Pourtant, malgré cette importance écologique, ils restent très mal connus. Cette méconnaissance du monde microbien du sol a de multiples origines, mais la principale est d’ordre méthodologique. En effet, seul 1 % des bactéries du sol sont cultivables, or, jusqu’à récemment, la culture sur un milieu spécifique constituait la seule méthode de caractérisation des espèces microbiennes. Ce verrou méthodologique a été levé grâce à l’essor des outils moléculaires qui permettent de caractériser et dénombrer les microorganismes dans leur milieu naturel sans passer par l’étape de la culture. Grâce à ces techniques, on a pu montrer qu’un seul gramme de sol peut héberger jusqu’à 10 000 espèces bactériennes différentes et près d’un milliard de bactéries. La plupart appartiennent à des embranchements (ou phylum) pour lesquels n’existe aucun ou quelques rares représentants cultivés, d’où l’impossibilité de déterminer précisément leurs rôles. D’autant plus, qu’une espèce peut assurer plusieurs fonctions et inversement une même fonction peut être realisée par plusieurs espèces différentes. Pourquoi une telle diversité ? Pourquoi plusieurs espèces pour une seule fonction ? Une telle diversité estelle nécessaire au fonctionnement du sol ? Ces questions sont au centre du débat actuel.

 LES SOLS SONT FRAGILES 

Tout usage des sols par les sociétés humaines modifie le sol et ses fonctions. Cela concerne les couleurs, les teneurs en matières organiques, les teneurs en particules fines (argiles), les structures, les porosités, les teneurs en éléments nutritifs ou toxiques (sodium, métaux lourds...), les fonctions vis-à-vis de l’eau, de l’air et de la vie. Ces modifications sont en général réversibles, mais plus ou moins rapidement.
Aujourd’hui, tous les sols du Monde sont modifiés par les activités humaines.
Les sociétés humaines ont souvent su bien gérer les sols dont elles avaient besoin pour vivre : les versants transformés en terrasses, l’aménagement de polders, les bocages, les apports d’amendements organiques... en sont des exemples parmi d’autres.
Souvent aussi, cependant, les sociétés humaines ont gravement dégradé les sols et leurs fonctions : diminution de la fertilité des sols, dérèglements des régimes hydrologiques, atmosphériques, biologiques. À plusieurs reprises les dégradations ont conduit à l’effondrement de sociétés humaines, de civilisations.
Le XXe siècle a été tout particulièrement destructeur des sols, partout dans le monde. Pauvreté pour les uns, productivisme (capitaliste ou collectiviste) pour les autres, ont contribué à accélérer la dégradation des sols : appauvrissements en matières organiques, destructurations, appauvrissements en éléments minéraux, érosions, pollutions...

Les principales améliorations des sols du fait des activités humaines sont :
* L’amélioration de propriétés chimiques (la « fertilité «) grâce à la fertilisation minérale (phosphore, potassium…) ou/et grâce à une gestion durable (assolements adaptés, gestion attentive de la matière organique...);
* L’amélioration de certaines propriétés physiques, grâce au travail du sol (labours...), aux amendements (organiques, chaulage...), au drainage...
* La mise en terrasses dans les zones de pentes (ex: Cévennes, Afrique du Nord, Asie).
* L’épierrage par construction de murets et accumulation de pierriers, le concassage des éléments grossiers ; * L’irrigation...

Les principales dégradations des sols du fait des activités humaines sont :
* La baisse des taux de matières organiques, de l’activité biologique, de la biodiversité.
* La déstructuration de la partie supérieure des sols, accompagnée d’une baisse de porosité (tassement).
* L’appauvrissement en nutriments ;
* L’appauvrissement en particules fines argileuses ;
* La salinisation et l’alcalinisation ;
* L’acidification ;
* Les pollutions minérales, organiques, radioactives ;
* L’érosion, la sédimentation, les glissements de terrain ;
* L’enterrement, voire la destruction, par les constructions urbaines, industrielles, touristiques, routières...
* Les inondations des basses terres côtières en conséquence des changements climatiques.
On estime que 40 à 50 % des sols du monde sont déjà dégradés du fait des activités humaines. Les dégradations des sols ont des conséquences considérables sur les milieux en relation avec les sols.
* L’hydrosphère : les régimes hydrologiques changent (crues, inondations, cycles plus courts) et les eaux se polluent ;
* L’atmosphère : elle s’enrichit en gaz à effets de serre ;
* La biosphère : elle est modifiée sur et dans les sols ;
* L’anthroposphère : les dégradations des sols ont des conséquences sur l’alimentation et sur la santé des sociétés humaines et sur leurs habitats.

Le sol est menacé de disparition :
* Quand l’érosion va plus vite que l’altération des roches : l’altération, qui fournit le matériau minéral du sol, est un phénomène lent, séculaire ; l’érosion, en revanche, est souvent très rapide, visible à l’échelle de la minute : le sol peut disparaître ;
* Quand l’urbanisation se développe : le sol disparaît sous les constructions.

L’objectif que les sociétés humaines doivent se donner le plus souvent possible est l’utilisation durable des sols. il s’agit d’utiliser les sols :
* Sans freiner leur formation (sans freiner l’altération des roches) ;
* Sans accélérer les érosions ;
* Sans diminuer, voire en augmentant, les teneurs en matières organiques des sols;
* En veillant à la biodiversité, dans et sur les sols ;
* En maintenant une bonne structuration et une bonne porosité des sols ;
* En évitant les pollutions des sols ;
* En évitant les appauvrissements nutritifs des sols.

Sources : L.A.M.S.,